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Cadeau empoisonné
L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais celles du président Koutchma ne font plus illusion. Après huit ans de règne passés à ériger une forteresse de privilèges autour du pouvoir présidentiel, L. Koutchma choisit subitement de renforcer à ses dépens le pouvoir de la Rada (Parlement ukrainien) et plus particulièrement celui du Premier ministre. A deux mois des présidentielles, la bête noire du régime, le réformateur libéral Viktor Youchtchenko garde les faveurs des sondages. Le Chef de l’Etat chercherait donc à laisser le futur Président sans réel pouvoir face au spectre grandissant de la défaite. Noir scénario, incompatible avec les intérêts politico-financiers du clan Koutchma, mais plus digeste avec une Assemblée toute-puissante, dominée tant bien que mal par les alliés du président.
Ce soudain élan démocratique aux allures de mauvaise farce vise une nouvelle fois la Constitution, devenue ces derniers mois un jouet entre les mains du président, mais également son va-tout. Aussi, lorsque le 8 avril dernier, la Rada a rejeté sur le fil ce projet controversé de réforme constitutionnel, le président ukrainien a perdu une sérieuse bataille. Au fil des intrigues, la réforme initiale s’est transformée. Mais les trésors d’imagination déployés par l’Eminence grise du Président, le chef de l’administration présidentielle V. Medvetchouk, auront surtout permis d’éclairer un peu plus l’obscur stratagème.
Le 24 décembre dernier, date du vote d’approbation préliminaire de l’amendement constitutionnel, des députés pro-présidentiels n’ont pas hésité à enfreindre les procédures légales. Alors que le vote à main levée remplaçait en dernière minute le vote électronique défaillant, certains d’entre eux préféraient voter à deux mains. Sous le feu des critiques occidentales, le projet de réforme jugé anti-constitutionnel n’a fait que raviver la vigilance du Conseil de l’Europe, à court de carottes et de bâtons envers le pouvoir ukrainien. Il ne devrait pas laisser insensible Washington, qui pourrait bien après la Serbie et la Géorgie, renforcer son soutien à l’opposition en Ukraine à l’approche des présidentielles.
Accueilli par des cris de joie dans l’hémicycle, le dénouement du 8 avril sonne comme une victoire morale pour l’opposition en perte de vitesse ces derniers mois. La récente «Révolution des Roses» géorgienne transposée à l’Ukraine traverse alors de plus en plus d’esprits. Bien que galvanisé, le peuple ukrainien manque cependant de mordant à en juger sa faible mobilisation lors des manifestations anti-présidentielles ces dernières années. L’étincelle se fait attendre, mais L. Koutchma et les siens peuvent abandonner le pouvoir en cas d’élections propres. Un vœux pieux face au rejet de la réforme constitutionnelle. Cette impasse risque au contraire de renforcer les traditionnelles fraudes, si le pouvoir veut voir passer son candidat, l’actuel Premier ministre V. Yanoukovytch. Un tel scénario pourrait alors enfin mettre le feu au poudre et déclencher une protestation massive, voire une révolution.
En attendant, avant même le début de la campagne électorale, intimidations, menaces et violences en tout genre désavantagent V. Youchtchenko. Confronté à mille tracas pour tenir ses meetings, le chef de «Notre Ukraine» doit également se passer des finances de certaines sociétés alliées, persécutées par le fisc ukrainien. Enfin, difficile de manœuvrer lorsque l’information dans le pays reste aux mains des forces pro-présidentielles. Privé de couverture médiatique, V. Youchtchenko peut compter de moins en moins sur les quelques medias indépendants, victimes de pressions en tout genre.
En février dernier, l’emblématique Radio Free Europe finançée par le Congrès américain se retrouve reléguée sur ondes courtes comme à l’époque soviétique. Un mois plus tôt, le plus grand quotidien national Silski Visti, proche de l’opposition socialiste, cessait de paraître après la publication d’articles jugés antisémites, sans que leur auteur, proche du gouvernement, ne soit sanctionné. L’Ukraine a transféré en 2003 la gestion du domaine internet « ua » sous la direction des services de sécurité (SBU) pour lutter officiellement contre la cybercriminalité, une mesure visant à contrôler en fait l’information sur la Toile. Et puis si la télévision indépendante géorgienne a contribué à la « Révolution des Roses », en Ukraine seule la chaîne indépendante Kanal 5 résiste encore à la pression malgré des problèmes de diffusion rencontrés en région, notamment à l’Est du pays. Celle-ci ne devrait pas tarder à se retrouver dans le collimateur du pouvoir ukrainien.
© 2004 Cyril Horiszny
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