Ukraine - "Terre à malheur ?" 


La gerbe de feu et les scènes d’horreur passent en boucle sur toutes les chaines TV. Un pays en état de choc assiste à la catastrophe : un meeting aérien vient de tourner au drame en ce 27 juillet 2002. Un avion de chasse Sukhoï-27 de l’armée ukrainienne vient de s’écraser sur la foule de spectateurs près de Lviv dans l’Ouest du pays. Bilan : 83 morts, dont 19 enfants et près de 200 blessés.

Et voilà que cette Ukraine, largement médiatisée jusque là pour l’explosion d’un funeste réacteur nucléaire à l’époque soviétique défraye à nouveau la chronique. A force de se retrouver sous les projecteurs, la tragique actualité ukrainienne devient presque banale aux yeux du monde. Une vision pourtant caricaturale d’un pays, dictée par l’impitoyable principe journalistique qu’est la loi du sensationnel. L’Ukraine et ses calamités, l’Ukraine, «terre à malheur», à en oublier ses richesses et tout le reste.

Pourtant le malheur est bien là en ce 27 juillet 2002. Et comme il n’arrive jamais seul, 20 «gueules noires» périssent quatre jours plus tard dans l’effondrement d’une mine du Donbass. On pourrait croire en la fatalité si les cruelles statistiques et l’imparable loi des séries noires n’endeuillaient l’Ukraine depuis plusieurs années, avant même ce déchaînement estival.
Des crashs de ce genre n’arrivent pas qu’en Ukraine. En 1988, 70 personnes avaient péri à Ramstein, en Allemagne, où trois avions de l’armée de l’air italienne s’étaient percutés en plein vol, l’un d’eux s’écrasant sur la foule présente à la démonstration.

Seulement, les civils ukrainiens payent pour la troisième fois en à peine deux ans un tribut humain aux errements de l’armée, sérieusement entachée en octobre dernier déjà. Un missile fou, venait de détruire en plein vol un avion de ligne russe. Depuis l’indépendance du pays, 17 crashes ou incidents mineurs des forces aériennes ukrainiennes ont fait 39 morts avant le 27 juillet, alors que les mines du pays avalent leur lot de victime pas milliers dans une troublante régularité.

Autant d’épreuves cumulées sous le règne d’un président Koutchma pourtant inébranlable. Ce dernier aura beau interrompre ses vacances en Crimée, blâmer la négligence pour les accidents ou encore dédommager les familles de victimes, l’écran de fumée et le manque de responsabilités risquent d’allonger la liste des défunts. Si les causes exactes du crash restent encore méconnues, l’été tragique 2002 pointe néanmoins une fois de plus du doigt l’armée ukrainienne et l’industrie charbonnière, dotés d’équipements en ruine de l’époque soviétique.

La valse des boucs émissaires depuis quelques années touche la haute hiérarchie militaire, les ministres de la défense, les cadres de l’industrie minière. Autant de représentants de secteurs en pleine crise depuis la chute du communisme, embourbés dans une lutte financière permanente. Mais la vraie question face à cette cascade de désastres repose sur l’efficacité d’un pouvoir, qui ne peut prétendre à la modernité de son pays tout en laissant sacrifier les habitants de la rue, onze ans après l’indépendance du pays.

Les mesures de façades n’y changeront rien, les timides plans de réformes et de restructuration amorcés dans l’industrie charbonnière par le gouvernement avec la Banque Mondiale sonnent tardivement le signal d’alarme. L’été 2002 résonne comme le contrecoup de cette fuite, et d’autres mineurs, d’autres civils risqueront leur vie si les réformes de fond tant attendues ne voient pas le jour.

La longue histoire de l’Ukraine s’est écrite au fil des tragédies et des souffrances. Aujourd’hui, son peuple peine à retrouver sa confiance en soi malgré l’indépendance du pays. Difficile pour cette jeune nation de chasser pessimisme et complexes face à toutes ces épreuves et à la transition sans fin de l’Ukraine post-soviétique. Pourtant, le «malheur ukrainien» contemporain repose moins sur la fatalité, que sur les agissements d’un pouvoir corrompu. Aux Ukrainiens d’écrire la suite de l’histoire. 

© 2002 Cyril Horiszny

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