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La «Donetskonnection»
1,95 pour 115 kilos… des mensurations de général soviétique plutôt que de Premier ministre… Pourtant, taillé dans le roc, Viktor Yanoukovitch, 52 ans, doit livrer un combat de taille sur le champ de bataille politique ukrainien depuis sa nomination le 21 novembre dernier par L. Koutchma à la tête du gouvernement. Jugé le plus «réformiste» de l’Ukraine post-soviétique d’après Koutchma, ce dixième Premier ministre et son gouvernement doivent assurément conduire le pays vers la prospérité.
A deux ans des élections présidentielles, ce nouveau tandem bien intentionné en ferait presque oublier les déboires du président ukrainien sur la scène nationale comme internationale. Mais les accents populistes de son discours peuvent laisser songeur. Car en limogeant le terne Viktor Kinakh, son Premier ministre de transition, Koutchma cherche avant tout à s’attacher les services d’un homme fort, charismatique, peu scrupuleux et docile à la fois. Un soldat, capable de consolider son pouvoir, et de lui faciliter sa sortie.
Réputé pour sa poigne de fer et sa loyauté envers L. Koutchma, V.Yanoukovitch offre non seulement toutes ces garanties mais également une influence hors pair. Méconnu du grand public, cet orphelin au passé obscur aurait tâté de la prison pour crimes économiques et homicide involontaire d’après de nombreuses sources ukrainiennes. «Docteur en économie» sur le papier, il écumera pendant une vingtaine d’années la direction d’entreprises automobiles. L’ascension de Yanoukovitch connaît un tournant décisif lorsqu’en 1997, il s’impose à la tête de sa région d’origine : le Donbass à l’Est de l’Ukraine.
Nommé gouverneur de Donetsk par L. Koutchma, il conquiert à travers un style autoritaire aux relents soviétiques cette région industrielle d’Ukraine. La plus peuplée mais surtout l’une des plus importantes sur le plan économique. Un succès favorisé par ses liens étroits avec les capitaines d’industrie du «clan de Donetsk», groupe politico-industriel devenu central dans une Ukraine post-soviétique aux mains des puissants groupes oligarchiques et mafieux. D’autant plus lorsque son poids politique s’affirme lors des dernières législatives qui lui rapporteront 37 sièges, grâce à sa faction le «Parti des Régions».
Lié au clan d’affaire de Dniepopetrovsk, L. Koutchma a tout intérêt à exploiter ce clan rival et ses ambitions politiques, susceptibles par ailleurs d’équilibrer les forces au sein même du cercle présidentiel. A la tête de l’administration présidentielle, Viktor Medvetchouk est l’homme fort du moment. Figure de proue du Parti social-démocrate, mais surtout du tout-puissant «clan de Kiev», son ascendant et son appétit grandissants commencent à faire de l’ombre, malgré la confiance de L. Koutchma à son égard.
En définitive, le chef d’Etat manœuvre tant bien que mal en redistribuant l’autorité entre ces deux généraux, mais surtout en unissant deux ennemis jurés autour du pouvoir. Un pacte de non-agression néanmoins exposé, car s’il est dit que les loups ne se mangent pas entre eux, V. Yanoukovitch et les siens ne viennent pas à Kiev pour faire de la figuration. Ils cherchent à conquérir la capitale et sa région, au cœur d’une extraordinaire lutte d’intérêts politico-financiers entre clans d’affaire. La concurrence et l’hostilité entre Kiev et Donetsk ne se limite pas aux deux plus grands clubs de football du pays, le «Dynamo» et le «Chakhtar», sous le contrôle d’oligarques affiliés aux clans respectifs.
Une guerre ouverte au sein du pouvoir pourrait servir de bouée au démocrate et pro-européen Viktor Youchtchenko, en train de payer sa position indécise sur l’échiquier politique ukrainien. V. Yanoukovitch a bel et bien abandonné toute tentative de rapprochement tactique avec le chef de «Notre Ukraine». Il le prive non seulement d’un précieux soutien à l’Est du pays en majorité pro-russe, mais commence à attirer dans les rangs pro-présidentiels les transfuges du camp Youchtchenko, à commencer par son numéro 2, le député O. Stoyan.
Après plusieurs mois de paralysie sur le front parlementaire, L. Koutchma peut se frotter les mains face à la collaboration instituée entre la fragile majorité pro-présidentielle naissante et le cabinet des ministres acquis à sa cause. Mais le gouvernement aura beau se mettre au travail, la crise politique, économique et sociale qui frappe l’Ukraine ne risque pas de se débloquer à l’approche des présidentielles. D’autant moins avec un Premier ministre, plus proche des valeurs «koutchmistes» que des réformes ou de la démocratie. Comme le résume le proverbe ukrainien : «la pomme ne tombe jamais loin du pommier».
© 2002 Cyril Horiszny
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